mercredi 5 septembre 2012


À propos d’Orphéon[1]

Il y a près de quarante ans, l’an 2000 et le XXIe siècle nourrissaient follement mes rêves, nous y vivrions, sans l’ombre d’un doute, dans un monde plus juste et plus équitable. Justice et équité ne sont-elles la noblesse même de nos sociétés humaines ? Ne devons-nous pas être toujours engagé dans la lutte pour la pérennité de ces idéaux ? Adolescent naissant, je portais haut ces drapeaux-là. Je les porte encore. Et c’est pour cela, sans doute, que j’écris.
Ce 21 août 2012, un soleil tenace m’accable, je cherche la fraîcheur dans l’ombre et je pense à ce texte qui doit présenter « Orphéon » dans le programme du théâtre lors de sa prochaine création.
On le sait, je regarde le monde et je parle de ses maux. Je lis donc les journaux guettant une source inspiratrice. L’actualité n’offre point de répit en cette période estivale, elle demeure brutale, violente pour les corps et pour les esprits, qu’elle soit économique, sociale ou venue du front.
Août 2012 : depuis plus d’une année, les puissances de notre vieux monde pataugent maladroitement dans le sang du peuple syrien ; derrière des sourires condescendants, les extrémistes confisquent les printemps arabes et condamnent les femmes à n’être plus que le « complément » du « maître de la maison » ; ici et là, dans la quasi indifférence, des hommes s’immolent : la vie n’a pas le même poids pour chacun d’entre nous…
Mais Orphéon ?
Orphéon, oui, bien sûr, comme il se glisse bien dans les couleurs tapageuses de notre temps, comme son cri lui va bien.
Orphéon Bilboquet rencontre Elmer Etcetera et l’amour naît, puis grandit. Le bonheur, en somme, et puis, bien sûr, la tragédie. Ce n’est pas seulement une histoire de notre temps, mais une histoire de tous les temps. Où en sommes-nous ?
Soyons clairs : aujourd’hui, dans 90 pays, l’homosexualité est illégale et passible d’une condamnation pénale, dans 8 d’entre eux elle est passible de la peine de mort, dans 80 autres pays, elle n’est pas reconnue, c’est à dire qu’elle est absente des textes légaux. Seuls 21 pays (dont la Belgique) reconnaissent l’existence de l’homosexualité et les droits des personnes homosexuelles…

Alors écrire ! Raconter une histoire d’amour belle et tragique pour dénoncer l’homophobie planétaire et puis celle, rampante, qui salit malgré tout, aussi, notre petit pays. L’autre, toujours cet « autre » qui casse les pieds de certains, le nègre, l’arabe, hier, le nègre, l’arabe et l’homosexuel aujourd’hui…
L’Homme possède cette étrange faculté de pouvoir nier ce qui fait partie intégrante de lui-même, il doit être le seul être vivant à pratiquer sans retenue l’automutilation, l’amputation de lui-même.
L’Homme est : noir, blanc, jaune, rouge… L’Homme est : hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, transsexuel… Tout cela est dans sa nature.
Cela vaut bien la peine de le crier sur le papier, de confier cette partition à des acteurs pour qu’ils s’en emparent, pour qu’ils investissent la scène d’un théâtre et qu’ils racontent cette histoire. De son début à sa fin. Qu’ils ne vous épargnent pas. Qu’ils vous bouleversent. Et que les questions soulevées, remuantes, lancinantes, vous empêchent, un tout petit peu, ce n’est pas demander trop, de trouver le sommeil.

Stanislas Cotton, août 2012


[1] Société de chant choral composée uniquement d’hommes.