À propos d’Orphéon[1]
Il y a près de quarante ans, l’an 2000 et le XXIe siècle nourrissaient
follement mes rêves, nous y vivrions, sans l’ombre d’un doute, dans un monde
plus juste et plus équitable. Justice et équité ne sont-elles la noblesse même
de nos sociétés humaines ? Ne devons-nous pas être toujours engagé dans la
lutte pour la pérennité de ces idéaux ? Adolescent naissant, je portais
haut ces drapeaux-là. Je les porte encore. Et c’est pour cela, sans doute, que
j’écris.
Ce 21 août 2012, un soleil tenace m’accable, je cherche la fraîcheur
dans l’ombre et je pense à ce texte qui doit présenter « Orphéon »
dans le programme du théâtre lors de sa prochaine création.
On le sait, je regarde le monde et je parle de ses maux. Je lis donc les
journaux guettant une source inspiratrice. L’actualité n’offre point de répit
en cette période estivale, elle demeure brutale, violente pour les corps et
pour les esprits, qu’elle soit économique, sociale ou venue du front.
Août 2012 : depuis plus d’une année, les puissances de notre vieux
monde pataugent maladroitement dans le sang du peuple syrien ; derrière
des sourires condescendants, les extrémistes confisquent les printemps arabes
et condamnent les femmes à n’être plus que le « complément » du
« maître de la maison » ; ici et là, dans la quasi indifférence,
des hommes s’immolent : la vie n’a pas le même poids pour chacun d’entre
nous…
Mais Orphéon ?
Orphéon, oui, bien sûr, comme il se glisse bien dans les couleurs tapageuses
de notre temps, comme son cri lui va bien.
Orphéon Bilboquet rencontre Elmer Etcetera et l’amour naît, puis
grandit. Le bonheur, en somme, et puis, bien sûr, la tragédie. Ce n’est pas
seulement une histoire de notre temps, mais une histoire de tous les temps. Où
en sommes-nous ?
Soyons clairs : aujourd’hui, dans 90 pays, l’homosexualité est
illégale et passible d’une condamnation pénale, dans 8 d’entre eux elle est
passible de la peine de mort, dans 80 autres pays, elle n’est pas reconnue,
c’est à dire qu’elle est absente des textes légaux. Seuls 21 pays (dont la
Belgique) reconnaissent l’existence de l’homosexualité et les droits des
personnes homosexuelles…
Alors écrire ! Raconter une histoire d’amour belle et tragique
pour dénoncer l’homophobie planétaire et puis celle, rampante, qui salit malgré
tout, aussi, notre petit pays. L’autre, toujours cet « autre » qui
casse les pieds de certains, le nègre, l’arabe, hier, le nègre, l’arabe et
l’homosexuel aujourd’hui…
L’Homme possède cette étrange faculté de pouvoir nier ce qui fait
partie intégrante de lui-même, il doit être le seul être vivant à pratiquer
sans retenue l’automutilation, l’amputation de lui-même.
L’Homme est : noir,
blanc, jaune, rouge… L’Homme est :
hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, transsexuel… Tout cela est dans sa nature.
Cela vaut bien la peine de le crier sur le papier, de confier cette
partition à des acteurs pour qu’ils s’en emparent, pour qu’ils investissent la
scène d’un théâtre et qu’ils racontent cette histoire. De son début à sa fin.
Qu’ils ne vous épargnent pas. Qu’ils vous bouleversent. Et que les questions
soulevées, remuantes, lancinantes, vous empêchent, un tout petit peu, ce n’est
pas demander trop, de trouver le sommeil.
Stanislas Cotton, août 2012