mardi 18 octobre 2011

Hors du monde 2

Publié sur le site www.bela.be (SACD) le 17 octobre 2011

Au Nord de l’Italie, des contreforts des Alpes à la plaine où le Po déroule ses méandres majestueux, il y a toujours l’un ou l’autre responsable des Ligues Lombardes ou Vénètes qui ne manque d’affirmer – au sujet des réfugiés qui traversent la Méditerranée pour poser les pieds en Europe – qu’on ferait mieux de repousser les envahisseurs avant qu’ils n’entrent dans les eaux territoriales ou même qu’on les bombarde avant qu’ils n’atteignent les côtes italiennes… Vous avez bien lu le mot : bombarder.
Souvent, dans les meetings de cette « Lega Nord » des centaines de citoyens portant des chemises vertes – la couleur du parti – grimacent, les traits déformés par la colère, réclamant à grands cris la sécession et l’indépendance de la Padanie. Ils détestent le midi, ce sud mafieux, peuplé de paresseux et cette Rome voleuse responsable de tous leurs maux. Et l’on sent qu’ils sont vraiment fâchés, très fâchés, et que pour un mot mal dit, ils en viendraient aux mains. Chaque fois, cette vision m’attriste et je soupire en les plaignant pour leur ignorance ; sans doute, leur faut-il parfois tenter de remplir ce vide par des cris. Il n’y a donc pas que les « tunisini », qui débarquent poches vides et cœur rempli du rêve d’une autre vie, qui sont victimes de haine et de racisme, mais les italiens eux-mêmes pour peu qu’ils vivent au-dessous de 42° de latitude Nord.
Mais l’Italie, me direz-vous, est un pays exubérant, tout y est exacerbé, cet excès est inscrit dans les mentalités. C’est vrai, sans doute. On peut voir des députés s’empoigner à la chambre, des hommes politiques promettre un monde meilleur et filer avec la caisse, découvrir un premier ministre partouzeur, des femmes fortement dévêtues jusque dans les émissions consacrées au football, les associations estudiantines de gauche et celles d’extrême droite s’affronter battes de base-ball à la main, le marchand de journaux du coin vendre des bustes de Mussolini…
Pays où les sentiments sont emprunts de démesure, d’accord, mais ce triste repli sur soi qui ressurgit lorsque les temps sont plus difficiles, ne conduit nulle part, que ce soit ici, dans notre vieille Europe ou ailleurs. La haine est un poisson sournois, qui ronge les meilleurs d’entre nous lorsqu’ils sont contaminés. Il ne faut jamais oublier que chasser l’autre, c’est d’une certaine façon, s’amputer de soi-même.


Stanislas Cotton, octobre 2011

lundi 3 octobre 2011

Hors du monde 1


Publié sur le site www.bela.be (SACD) le 3 octobre 2011

Lampedusa, vingt kilomètres carrés de terres arides perdues en méditerranée, aux côtes méridionales caressées par des eaux turquoises qui se donnent des airs de Maldives tandis que celles du septentrion offrent le spectacle dantesque de falaises vertigineuses. C’est une langue de roche poussiéreuse, martelée l’été par un soleil de plomb, égarée entre Malte et la Tunisie à cent dix miles nautiques[1] du port Empédocle d’Agrigente ; l’île est rendue tristement célèbre depuis plusieurs années par les milliers de réfugiés qui y débarquent pour pénétrer en Europe (combien perdus à jamais, combien noyés en mer ? On parle de 1500 disparus…).
Il y a quelques jours, certains de ces migrants ont menacé de se faire sauter avec des bombonnes de gaz pour échapper à un rapatriement forcé. Puis, ils ont mit le feu au centre d’accueil qui hébergeait plus de mille d’entre eux ; il est aujourd’hui au deux tiers détruit.
Des centaines de réfugiés ont envahis la ville. Solidaires durant des années – ils ont été les premiers a partager nourriture, vêtements et couvertures lorsque le gouvernement ne prenait pas ses responsabilités – les lampédusiens ont cette fois perdu toute retenue. La confrontation a été très violente. Exaspérés, ils jetaient des pierres sur les « tunisini[2] » ou les chargeaient armés de bâtons et de barres de fer. La police est intervenue sans ménagement. Des centaines de sans feu ni lieu ont fuit, se perdant dans l’île, dans sa poussière, ses rochers, ses calanques… Puis les forces de l’ordre ont rassemblé les fuyards dans le stade municipal et sur l’un des môles du port.
Le maire s’est retranché dans son bureau avec une batte de base-ball…
Le Ministre de l’intérieur a piqué une colère : expulsons immédiatement ces délinquants !

Le lendemain, jour des festivités populaires les plus importantes de l’année, la procession de la sainte patronne de l’île, la Madonna di Porto Salvo, les pêcheurs l’ont portée sur leurs épaules, du sanctuaire qui l’héberge jusqu’à l’église, sous les cris de la population : « viva a Madonna di Portu Salvo[3] ! » Les lampédusiens se sont recueillis, ils ont prié, sans doute, pour que la mer demeure généreuse mais aussi pour que des jours meilleurs se profilent à l’horizon. Et pendant ce temps-là, et durant toute la nuit suivante, par mer et puis par air, l’armée rapatriait les « tunisini » vers leur pays d’origine.


Stanislas Cotton, octobre 2011


[1] Plus ou moins 200km.
[2] Les tunisiens.
[3] Vive la Madonne de Porto Salvo.